LE POT
Si vous voulez avoir l'occasion d'assister à une représentation de tous les défauts que l'homme peut, socialement, étaler, alors assistez à ce que l'on appelle communément "un pot". Vous aurez-là une panoplie complète de ce qu'on fait de mieux en matière d'hypocrisie, de discours vains, d'écoute polie et indifférente, d'envie et de mesquinerie, de gloutonnerie et d'égoïsme.
Regardez autour de vous :
Ceux-là se tiennent près de la table, engouffrant petit four sur petit four, éclusant coupe sur coupe, comme s'ils étaient affamés et assoiffés depuis des jours, avec la peur au ventre de n'en avoir pas pour un argent qu'il n'ont pas versé puisque le pot est offert. A croire même qu'ils se sont abstenus de déjeuner le midi de manière à pouvoir mieux s'empiffrer : ils n'auront pas non plus à dîner ensuite : c'est toujours autant de gagné.
Mais, si par hasard, lors de ce pot arrive à leurs oreilles la rumeur d'une participation à un cadeau quelconque, vous les voyez s'exclamer, entre deux bouchées : "Oh, bien sûr, quelle bonne idée ! Mais je n'ai pas amené d'argent ce soir. Tu comprends, je ne pensais pas que j'en aurais besoin. Promis, tu auras ma participation la semaine prochaine." Et la semaine suivante, on a oublié le porte-monnaie, à moins qu'il ne soit vide ou que, pris par le temps, on n'ai pas pu récupérer le sacro-saint réceptacle du nerf de la guerre. On ferait bien un chèque, mais bien entendu, le chéquier s'est égaré dans la poche du conjoint, qui s'est lui-même égaré on ne sait où. Et puis la semaine suivante, on a un empêchement : on ne vient pas, ou trop tard, ou on s'éclipse discrètement avant que le quémandeur ne puisse nous rejoindre. La semaine suivante, grâce à Dieu, il est trop tard. Ca n'empêchera pas de faire bonne figure et de signer la carte des généreux donateurs.
Surtout que ce sera sans doute l'occasion d'un nouveau pot où l'on pourra de nouveau se goinfrer aux frais de la princesse. Vite, vite, goûter chacune des spécialités, laisser aux autres celles que l'on apprécie moyennement, ou pas du tout, et avaler le plus possible de celles qui nous agréent, en lançant un regard noir au malheureux imprudent qui a eu l'impudence de jeter son dévolu sur la même catégorie. En bref, les gourmands égoïstes, première catégorie de spécimens rencontrés dans ces lieux.
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D'autres se tiennent plutôt à l'écart de la table, formant un petit groupe qui regarde, étudie, lance des sourires tellement sincères, salue et embrasse tout le monde avec une affection presque palpable. Et puis, sitôt les au-revoirs prononcés, parfois même avant d'ailleurs, se lancent dans la "démolition" : les tenues, les propos, les voix, les maquillages, les cheveux, la manière d'être, l'existence tout simplement de chacun est détaillée, disséquée, réinventée au besoin. "Et patati, et patata.... Voyez-vous ci, croyez-vous ça ?" Ils vous plantent un couteau dans le dos pendant qu'ils vous enlacent. Mesquins, commères, menteurs à l'occasion. On ne peut cependant leur enlever une imagination débordante qui fait naître des idylles où il n'y en a pas, des querelles ou rien n'affleure. Au courant avant vous de vos déboires, de vos échecs, de vos déconvenues.... Les langues de vipères hypocrites et sournoises.
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Un petit groupe d'admirateurs autour d'eux, certains ont une conversation passionnante, tant qu'elle touche à leur petite personne "Moi je.... " "Et bien moi, je..." "Ca me rappelle quand je..." Tout et n'importe quoi leur permet de se mettre en avant. Rien ne leur échappe des tourments des uns, des sentiments des autres, du temps qui passe et des misères du monde. Ils voient tout à travers la lorgnette de leurs yeux aveugles. C'est ceux-là que vous retrouvez voguant de groupe en groupe, s'insinuant de l'un à l'autre, ne sachant même pas au juste qui ou quoi on fête. Simplement, une occasion de parler de soi. Des égocentriques, ennuyeux et solitaires.
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Et puis il y a les "sociaux". Ceux qui sont là parce qu'il faut y être : on ne peut pas manquer ce pot, parce que c'est celui d'un groupe dont on fait partie, celui d'une élite dont on voudrait être, celui d'une société que l'on côtoie. Ceux-là aussi vont d'un groupe à l'autre, se montrent, s'exposent, s'exhibent même parfois. Ce ne sont pas ceux qui parle le plus, non, ce sont ceux à qui on parle le plus.
Il ne sont pas forcément les auteurs de l'invitation, ceux-là ne sont pas toujours les plus entourés malgré ce qu'on pourrait croire. Non ils vous font parler avec l'air de tellement s'intéresser à ce que vous leur dites que, pour un moment, vous avez réellement l'impression de compter à leurs yeux. Vous dites "Ce sont des gens biens, des amis peut-être". Il y a tant d'intérêt pour vous au fond de leur regard qu'enfin vous vous sentez exister, vous qui peut-être ne parlez jamais, vous pouvez enfin vous exprimer, vous raconter, et ça fait tellement de bien.
Bien entendu, tôt ou tard, vous vous apercevrez qu'ils n'ont rien retenu de ce que vous leur avez dit, qu'ils ont entendu et vu tellement de personnes durant cette réception qu'ils ont mélangé les visages et les paroles. Aussi proches vous soient-ils (ou croyez-vous qu'ils vous soient), vous vous rendez compte qu'en fait, ils n'ont joué que leur rôle social. Leurs corps étaient là, ni leur esprit, ni leur cœur parfois. Et tout à glissé. Comme on dit : "C'est rentré par une oreille et sorti par l'autre." Même ce qui vous paraissait tellement important, presque crucial, quelque chose que vous teniez tellement à faire partager, n'a laissé aucune trace dans leur esprit papillonnant. Les gentils inconscients, plus ou moins hypocrites car plus ou moins conscients de se ficher éperdument de leur vis à vis, mais totalement incapables de le leur faire comprendre, que ce soit par gentillesse, par savoir vivre, par convention sociale ou tout simplement par lâcheté.
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Et les m'as-tu-vu ? Ceux qui sont partout à la fois. Qui n'ont rien d'intéressant à dire mais qui le disent si fort qu'ils monopolisent l'attention. Vous les voyez se gonfler comme des baudruches, et se dégonfler aussi vite s'ils n'obtiennent pas l'attention et le succès escomptés. Ceux qui n'ont ni tact, ni savoir vivre, ni élégance. Qui se comportent de la même façon à un pot de mariage et à une réception d'enterrement. Ceux qui se doivent d'être au centre, sur le devant de la scène, là où tout se passe et se décide. Les inutiles, ennuyeux et stériles, tellement égocentriques qu'ils pensent que la fête s'éteindra avec eux. Mais qui savent si bien s'éclipser discrètement lorsque vient l'heure de tout remettre en place.
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Oui, bel échantillon. Bel échantillon d'humanité que j'observe en me demandant ce que je fais là. J'en suis de ces hypocrites qui sourient à des gens qu'ils n'apprécient guère, qui écoutent d'une oreille attentive des plaintes qui ne survivront dans leur souvenir que le temps de passer la porte, à moins qu'elles ne soient une bonne base de cancans ultérieurs. J'en suis puisque je suis là, puisque je les regarde et que je leur souris. Je n'ai pas pris un verre, j'ai juste grignoté un gâteau, comme d'habitude. Un goût de lassitude de ces exceptions qui deviennent des rituels. Un pot pour un anniversaire, une naissance, des fiançailles, un mariage, une voiture neuve, un diplôme réussi, un départ en retraite. Jamais un pot pour une paix signée, un droit gagnée, une vie sauvée. Y a-t-il de l'humanité ici ?
Sans doute oui, dans quelques sourires sincères de gens qui s'aiment vraiment. Mais même ceux-là se feront du mal. Même ceux-là ne s'écoutent qu'à demi, oubliant parfois ce qui importe tellement à ceux qu'ils aiment. Etre humain tout simplement : humain, imparfait, insatisfait.
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Si vous voulez avoir l'occasion d'une représentation en direct, le nec plus ultra de la bienséance et de la vacuité, venez nous rejoindre. Peut-être que je cesserai d'observer, peut-être alors que vous me verrez, moi aussi, partie d'un microcosme inutile mais tellement humain. Cela voudrait dire alors que je ne suis plus seule.
Mais non je ne suis pas associale!!!! :mangarire:
Pour le prouver tiens, j'organise un pot! Vous venez??? :mangadémoniaqu :mangachatsucet