
Playmobil
Je ne connais pas les personnes et je ne sais rien de leur vie. Je me contente de les mettre en scène dans une fiction, sans en tirer aucun bénéfice.
Dans l’eau de ses silences
Boris se glissa doucement hors du lit, alluma une cigarette et alla se poster devant la fenêtre, regardant le soleil qui se levait sur la campagne. Derrière lui, il entendit son compagnon s’agiter et il se retourna vers lui, sentant son cœur battre plus vite à le voir si beau, abandonné dans le sommeil.
Le jour qui vient de naître
Dessine la fenêtre
Au mur de la vieille chambre
Et peint septembre aux couleurs d´ambre
Nicola… Etait-il tombé amoureux dès le premier regard, comme dans les mauvaises chansons pour midinettes ? Non… Certes, dès le premier regard il avait ressenti tout le magnétisme de cet homme, mais son premier sentiment avait été un grand respect teinté d’un peu de timidité : serait-il à la hauteur des exigences de ce leader ?
Et puis, petit à petit, le respect s’était mué en amitié, et l’amitié en amour. Bien sûr il ne s’était pas déclaré, comment aurait-il pu ? Nicola, malgré ses dehors efféminés, ne semblait pas attiré par les hommes. Boris n’aurait pas risqué son poste pour un sentiment qui s’avèrerait peut-être n’être qu’un feu de paille !
Un petit sanglot l’arracha à ses pensées.
Une larme qui perle
Et vient de rouler sur sa joue
Petite vague qui déferle
Dans son sommeil
Alors que tout semblait si doux
D´où vient ce chagrin qui s´éveille
Pour se glisser dans son cou?
Son cœur se serra devant ce chagrin si profond qu’il hantait le sommeil si chichement compté de l’homme qu’il aimait.
Stéphane, son alter-ego, son double, le compagnon de toute sa vie l’avait quitté trois mois auparavant. Il avait cru que Nicola ne se relèverait pas. Mais le chanteur avait surmonté sa peine. Boris n’osait penser qu’il avait sa part dans cette reconstruction. Pourtant il avait été là, à chaque instant, se souvenant des mots de Stéphane qui lui avait confié son frère avant de s’éteindre.
Alors il avait veillé sur Nicola, séché ses larmes, bercé son corps secoué de chagrin, soulagé son âme meurtrie. Le chanteur ne parlait pas, ou si peu, alors il cherchait à deviner, compagnon silencieux et attentif.
Dans l´eau de ses silences
Je bois son cœur immense
Jusqu´aux sources de ses peines
Je l´aime et même
Il aimait cet homme comme il avait cru ne jamais pouvoir aimer un jour. Sous son aspect de rocker rebelle, il cachait un cœur épris d’absolu, et cet absolu s’appelait Nicola.
Avec lui, il serait capable d’aller au bout du monde, de défier le sort, ce sort cruel qui accablait l’homme qu’il aimait en lui enlevant le soutien précieux de son jumeau.
Au cœur de la tempête
Aux soirs de nos défaites
Le soleil qui brille au port
C´est lui*, c´est lui* encore
- Boris…
Il sourit à son amour, attendri de le voir si fragile, lui qui pourtant était si fort finalement.
- C’est toi ma force, murmura le chanteur, surprenant son compagnon qui se demanda comment il pouvait savoir ce qui se passait dans sa tête.
Il* ouvre la fenêtre
Se blottit contre moi
Tout doucement, la vie va renaître
Aux couleurs d´ambre de septembre
Ils se tenaient devant la fenêtre ouverte, Nicola lové contre le corps de Boris qui avait refermé ses bras sur lui.
Ils n’avaient pas besoin de parler. Ils se comprenaient à demi-mots.
Le sort avait été cruel mais il avait offert à Nicola l’amour de Boris quelques mois avant de lui reprendre son frère, comme pour l’aider à pallier l’absence indicible.
Le guitariste se souvenait de ces semaines à se taire, à se dire qu’il ne pourrait jamais rien se passer entre lui et Nicola. C’était Stéphane qui lui avait permis de se rapprocher de son jumeau, Stéphane qui, ayant deviné cet amour mutuel qu’ils se portaient, avait brusqué les choses, comme s’il savait que son frère aurait besoin de ce soutien pour se relever.
Dans le silence de l’aube, ils écoutaient leurs cœurs battre à l’unisson et leurs pensées fusionner.
Quand l´eau de ses silences
Déborde dans ses yeux
Que j´entrevois la mer immense
De ses secrets
Je découvre peu à peu
Sous l´azur de ses blessures
Des trésors si fabuleux
Lorsqu’ils avaient rendu leur liaison publique, ils avaient essuyé les injures des uns, les reproches des autres mais aussi reçu tant d’encouragements et de félicitations qu’ils n’avaient pas regretté ce risque.
De toute façon, Boris n’aurait jamais eu de regrets parce que, même si la révélation avait entraîné leur séparation, il aurait eu tant de magnifiques souvenirs à égrener.
Au bout de mon voyage
J´aurai pour seul bagage
Cet amour dont il* inonde
Le monde, le monde
Nicola n’était pas du genre bavard : ses yeux, son corps, son souffle parlaient pour lui. Au début de leur relation, Boris avait eu un peu l’impression qu’elle fonctionnait à sens unique, lui donnant et le chanteur prenant. Et puis, petit à petit Nicola s’était ouvert à son tour, lui prouvant mieux que par des mots combien il tenait à lui.
À l´eau de ses silences
J´ai bu tant d´espérance
J´ai reçu comme un baptême
Je l´aime et même
Bientôt la parenthèse se refermerait et ils reprendraient la route, pour une tournée en hommage à Stéphane. Mais ces jours de chagrin et de doute, ces jours de bonheur et de paix, resteraient à jamais gravés en eux pour les porter dans les moments difficiles qui ne manqueraient pas.
Les fleurs de son sourire
Le ciel que je respire
Et l´étoile qui mène au port
C´est lui*, c´est lui* encore
- Je t’aime.
- Je t’aime encore plus.
Qu’avaient-ils besoin de mots pour énoncer l’évidence ? Ils étaient faits l’un pour l’autre, de toute éternité. Stéphane, de là où il était veillait sur eux, et eux porteraient son souvenir.
- Ensemble.
- Ensemble.
Leurs mains étaient unies. Ils se tournèrent l’un vers l’autre, leurs regards se perdant dans les yeux de leur amour. Et quand leurs lèvres s’unirent, le chagrin disparut pour laisser place à l’espoir.
FIN
Chanson de Yves Duteil
* paroles originales : elle